Французский перевод Ж. Бланкоффа
Источник: Blankoff J. Le Dit de la campagne d’Igor, fils de Sviatoslav, petit-fils d’Oleg. Une énigme littéraire du XIIe siècle // Revues marginales. 1968. T. 122. P. 1—24
- 1. Ne nous siérait-il pas, frères, d’entonner avec les paroles d’autrefois les pénibles récits de la campagne d’Igor, d’Igor Sviatoslavitch?
- 2. Entonnons-le donc, ce chant ; qu’il suive les faits de notre temps et non la fantaisie de Boïan.
- 3. Car Boîan le Devin, s’il voulait réciter son chant à quelqu’un, s’élançait par la pensée le long de l’arbre, comme un loup gris de par la terre, comme un aigle bleu sous la nuée,
- 4. car il se rappelait, disait-il, les querelles du temps passé.Alors, il lâchait dix faucons sur un vol de cygnes ; celui qu’il atteignait chantait d’abord son chant, au vieux Iaroslav, au vaillant Matislav qui égorgea Rededia devant les troupes kasoges, au beau
- 5. Mais Boïan, frères, ne lâchait pas dix faucons sur un vol de cygnes, mais il posait ses doigts magiques sur les cordes vivantes qui d’elles-mêmes faisaient retentir la gloire des princes.
- 6. Entonnons donc, frères, ce récit, de Vladimir l’Ancien à Igor qui de nos jours a ceint son âme de force et aiguisé son coeur de vaillance.
- 7. S’étant empli d’esprit guerrier, il mena ses troupes braves en terre polovtsienne pour la terre russe.
- 8. Alors Igor dirigea son regard vers le lumineux soleil et vit qu’une ombre en recouvrait toute sa troupe,
- 9. et Igor dit à sa droujina:
- 10. “Frères et compagnons! Plutôt être tués qu’être captifs!
- 11. Montons donc nos rapides coursiers, que nous apercevions le Don bleu».
- 12. L’esprit du prince s’enflamma de désir et la passion de goûter à l’eau du Grand Don lui voila le présage.
- 13. “Car je veux, dit-il, rompre avec vous, fils de la Russie, une lance au fond de la plaine polovtsienne, je veux y laisser ma tête ou boire de mon heaume au Don».
- 14. Boïan, rossignol du temps jadis, si toi tu chantais ces combats, sautant, rossignol, par l’arbre spirituel, volant en esprit sous les nuées, tressant des hymnes de gloire aux temps passés et présents, t’élançant par plaines et monts sur la trace de Troïan!
- 15. Chanter le chant d’Igor reviendrait à un petit-fils de Boïan.
- 16. Ce n’est pas la tempête qui a porté les faucons par-dessus les vastes plaines.Les choucas fuient en bandes vers le Grand Don.
- 17. Ou plutôt, ne devrions-nous pas entonner ce chant ainsi, Boïan le Devin, petit-fils de Vélës!
- 18. Les coursiers hennissent par delà la Soula, la gloire retentit à Kiev, les troupes sonnent à Novgorod, les étendards se dressent à Poutivl, Igor attend son frère bien aimé Vsevolod.
- 19. Et le bouillant Taureau Vsevolod lui dit:
- 20. “Tu es, toi Igor, mon seul frère, ma seule lumière lumineuse ; nous sommes tous deux fils de Sviatoslav ;
- 21. selle, frère, tes vifs coursiers ;
- 22. les miens sont prêts, sellés devant Koursk.
- 23. Et mes hommes de Koursk sont des guerriers renommés: emmaillotés au son des trompes, bercés sous les heaumes, nourris â la pointe des lances ;
- 24. les chemins leur sont connus, les ravins familiers ; leurs arcs sont bandés, leurs carquois ouverts, leurs sabres affilés.
- 25. Eux-mêmes bondissent comme des loups gris par la plaine, à la poursuite pour eux d’honneur, pour le prince de gloire».
- 26. Alors le prince Igor mit le pied à l’étrier doré et chevaucha par la vaste plaine.
- 27. Le soleil lui barrait la route de ses ténèbres.
- 28. La nuit grondante, le menaçant de son orage, a réveillé les oiseaux ; un sifflement sauvage s’est levé ;
- 29. Div s’est abattu et au faite de l’arbre lance son cri: il ordonne d’écouter à la terre inconnue, Volga, rivage de la mer, rives de la Soula, Souroj, Korsoun, et à toi, idole de Tmoutarakan!
- 30. Et les Polovtsy, par des pistes non frayées, ont fui vers le Grand Don: leurs chars grincent dans la nuit, on dirait des cygnes débandés.Igor mène ses guerriers vers le Don.
- 31. Et déjà l’oiseau dans la chênaie pressant le malheur ; dans les ravins, les loups annoncent la menace, les aigles, de leur cri strident, appellent les fauves à la curée, les renards glapissent aux boucliers rouges.
- 32. terre russe, tu est déjà derrière la colline…
- 33. La nuit règne longtemps.
- 34. L’aube a allumé sa clarté, la brume a recouvert les champs.
- 35. Le gazouillis des rossignols s’est éteint, le jacassement des choucas s’est éveillé.
- 36. Les fils de la Russie ont barré les vastes plaines de leurs boucliers rouges, à la poursuite des honneurs pour eux, de gloire pour le prince.
- 37. Le vendredi dès l’aube, ils piétinaient les bandes infidèles polovtsiennes et, s’étant dispersés comme des flèches dans la plaine, enlevaient les jolies filles polovtsiennes, et avec elles, l’or, les passementeries et les précieux oxamites.
- 38. Avec les couvertures, les manteaux et les pelisses, ils jetaient des ponts à travers les marais et les bourbiers, avec tous les ornements des Polovtsy.
- 39. Un étendard cramoisi, une bannière blanche, un gonfanon cramoisi, une hampe d’argent au vaillant fils de Sviatoslav!
- 40. La vaillante nichée d’Oleg rêve dans la plaine. Elle s’est envolée bien loin.
- 41. Elle n’était pas née pour l’outrage, ni pour le faucon, le gerfaut, ni pour toi, noir corbeau, infidèle Polovets!
- 42. Gzak court sous la forme d’un loup gris, Kontchak lui indique la piste vers le Grand Don.
- 43. Le jour suivant, très tôt, des aurores sanglantes annoncent le jour.
- 44. Des nuées noires courent de la mer, veulent voiler les quatre soleils, des éclairs bleus y palpitent,
- 45. un grand tonnerre va tonner, une pluie de flèches va s’abattre du Grand Don.
- 46. Là les lances se rompront, là les sabres s’ébrècheront sur les casques polovtsiens, sur la rivière Kaïaly près du Grand Don.
- 47. terre russe, tu es déjà derrière la colline…
- 48. Voici que les vents, petits-fils de Stribog, soufflent de la mer des nuées de flèches sur les vaillantes troupes d’Igor ;
- 49. la terre gronde, les rivières roulent des eaux troubles, la poussière couvre les plaines.
- 50. Les étendards l’annoncent: les Polovtsy marchent du Don et de la mer,
- 51. et venus de tous côtés, ont cerné les troupes russes.
- 52. De leur clameur les fils du démon ont barré la plaine et les vaillants fils de la Russie l’ont barrée de leurs boucliers rouges.
- 53. Taureau furieux, Vsevolod, tu te dresses dans le combat, tu fais jaillir les flèches sur les guerriers, tu fais sonner sur les heaumes les glaives d’acier franc.
- 54. Là où, Taureau, tu as bondi, étincelant de ton heaume doré, là gisent les têtes des Polovtsy infidèles.
- 55. Les heaumes avares sont fendus par les sabres trempés, par toi, Taureau furieux, Vsevolod!
- 56. Quelle blessure importe, frères, à celui-là qui a oublié les honneurs et richesses et sa ville de Tchernigov et le trône d’or de ses ancêtres, et de sa charmante aimée, la belle fille du prince Gleb, les tendresses et caresses…
- 57. Il y eut jadis les temps de Troïan ; les années de Iaroslav sont passées ; il y eut les combats d’Oleg, d’Oleg Sviatoslavitch.
- 58. Car cet Oleg de son glaive forgeait la discorde et semait la terre de ses flèches.
- 59. Il met le pied à l’étrier doré dans la ville de Tmoutarakan ;
- 60. c’est ce même cliquetis qu’autrefois le grand Iaroslav avait entendu,
- 61. mais le fils de Vsevelod, Vladimir, tous les matins se bouchait les oreilles à Tchernigov.
- 62. La gloire a conduit Boris Viatcheslavitch à sa perte, sur la Kanina elle a étendu son voile vert pour l’offense faite à Oleg, le vaillant et jeune prince.
- 63. De la même Kaïaly, Sviatopolk ordonna d’emporter son père entre deux ambliers hongres à Sainte-Sophie de Kiev.
- 64. Alors au temps d’Oleg Gorislavitch se semait et croissait la dispute ; les petits-fils de Dajbog périssaient et dans les querelles des princes les jours humains s’abrégeaient.
- 65. Alors par la terre russe rarement les laboureurs s’interpellaient, mais souvent les corbeaux croassaient en se partageant les cadavres, et les choucas échangeaient leurs discours, s’apprêtant à voler au festin.
- 66. C’était dans ces guerres et ces campagnes ; mais combat pareil était inconnu. Depuis tôt le matin jusqu’au soir, du soir â l’aurore volent les flèches bien trempées, sonnent les sabres contre les heaumes, s’entrechoquent les lances d’acier franc dans la plaine inconnue, au milieu des terres polovtsiennes.
- 67. Sous les sabots la terre noire fut semée d’ossements et arrosée de sang, le malheur se leva à travers la terre russe.
- 68. Quelle est donc cette rumeur, quel est ce cliquetis que j’entends au loin, tôt avant l’aube?
- 69. Igor ramène ses troupes car il a pitié de son frère chéri, Vsevolod.
- 70. Ils se battirent un jour, ils se battirent un deuxième, le troisième jour vers midi les étendards d’Igor tombèrent.
- 71. Là les frères se séparèrent sur la rive de la rapide Kaïaly,
- 72. là le vin sanglant vint à manquer,
- 73. là les vaillants fils de la Russie achevèrent le festin, ils enivrèrent leurs beaux-frères, et eux-mêmes tombèrent pour la terre russe.
- 74. De douleur l’herbe s’inclina et l’arbre se courba avec chagrin vers le sol.
- 75. Car déjà, frères, l’heure d’affliction est venue, déjà le désert a recouvert l’armée,
- 76. la violence s’est levée au milieu des armées du petit-fils de Dajbog, la vierge s’est avancée sur la terre de Troîan ; elle a battu de ses ailes de cygne sur la mer bleue près du Don, et de ce battement elle a fait fuir les temps d’abondance.
- 77. La lutte des princes contre les infidèles a cessé car le frère a dit à son frère: «Ceci est à moi et cela aussi est mien!».Et les princes ont commencé à dire de ce qui était une petite chose que c’était une grande, et à forger contre eux-mêmes la discorde.
- 78. Et les infidèles de tous côtés sont entrés en terre russe accompagnés de la victoire…
- 79. Oh, loin a volé le faucon, fondant sur les oiseaux, vers la mer!
- 80. Et on ne ressuscitera pas la vaillante armée d’Igor,
- 81. derrière elle ont élevé leur plainte la Pleureuse et la Lamentation, bondissant à travers la terre russe, agitant la braise dans la corne ardente.
- 82. Les femmes russes pleurent, disant:
- 83. “déjà plus notre pensée n’imaginera nos bien-aimés, ni notre esprit ne les caressera, ni nos yeux ne les contempleront, et l’or et l’argent il ne nous sera plus donné de les toucher…».
- 84. Or donc, frères, Kiev s’est mis à gémir dans la douleur et Tchernigov dans l’infortune.
- 85. La peine s’est répandue à travers la terre russe, une tristesse immense a coulé au coeur de la terre russe.
- 86. Et les princes forgeaient de leurs mains la discorde contre eux-mêmes
- 87. et les infidèles, eux, faisant irruption avec la victoire, prélevaient un écureuil par foyer.
- 88. Car les deux vaillants fils de Sviatoslav, Igor et Vsevolod, ont maintenant réveillé la perfidie qu’avait apaisée par sa menace leur père, le redoutable et grand Sviatoslav de Kiev:
- 89. il était venu avec ses troupes pleines de force et ses glaives d’acier franc, il avait marché contre la terre polovtsienne, foulé collines et ravins, troublé rivières et lacs, asséché torrents et marais.Et comme une tornade, Kobiak l’infidèle il l’avait arraché du fond de sa baie marine, de ses innombrables troupes de fer polovtsiennes ; et Kobiak s’était écroulé dans la ville de Kiev, dans la grande salle de Sviatoslav…
- 90. Et maintenant les Germains et les Vénitiens, maintenant les Grecs et les Moraves chantent la gloire de Sviatoslav, blâmant le prince Igor qui a noyé la prospérité au fond de la rivière Kaïaly, de la rivière polovtsienne, éparpillant l’or russe.
- 91. Voici que le prince Igor est passé de la selle dorée à la selle de la captivité.
- 92. Les remparts des villes se sont couverts de tristesse, la joie s’est tue.
- 93. Et Sviatoslav vit un songe troublé â Kiev sur les collines
- 94. “Cette nuit, dit-il, dès le soir, on m’avait revêtu d’un linceul noir, sur un lit de cèdre,
- 95. on me versait du vin bleu mêlé d’amertume ;
- 96. sur mon sein, des carquois vides des étrangers infidèles on me semait de grosses perles
- 97. et on me caressait. Et déjà les planches sont sans maîtresse poutre dans mon palais au toit doré».
- 98. Toute la nuit, depuis le soir les corbeaux mornes ont croassé
- 99. près de Plesensk, la forêt kiévienne dressait sa barrière et ils se dirigeaient vers la mer bleue.
- 100. Et les Boïars dirent au prince:
- 101. “Déjà, prince, la tristesse s’est emparée de ton âme
- 102. car voici que deux faucons se sont envolés du trône doré de leur père pour conquérir la cité de Tmoutarakan, ou boire au Don de leur heaume, mais déjà les sabres des infidèles ont rogné les ailes de ces faucons, tandis qu’ils sont pris eux-mêmes dans des entraves de fer».
- 103. Car il se fit sombre le troisième jour: les deux soleils se sont obscurcis, les deux colonnes de pourpre se sont éteintes et avec elles les deux jeunes lunes Oleg et Sviatoslav se sont voilées de ténèbres et ont plongé dans la mer ; et ils ont éveillé une grande audace chez les Huns.
- 104. Sur la rivière, sur la Kaïaly, l’ombre a recouvert le jour.
- 105. Les Polovtsy se sont répandus à travers la terre russe comme une portée de guépards.
- 106. Déjà l’infamie est descendue sur la gloire,
- 107. déjà la violence a frappé la liberté,
- 108. déjà Div a fondu sur la terre.
- 109. Car voici que les belles filles des Goths ont entonné un chant sur le rivage de la mer bleue ; faisant sonner l’or russe, elles chantent le temps de Bos, elles caressent la vengeance de Charokan.
- 110. Et nous désormais, la droujina, sommes privés de joie.
- 111. Alors, le grand Sviatoslav laissa tomber une parole d’or, mêlée de larmes et dit:
- 112. O mes enfants, Igor et Vsevolod, vous avez tôt commencé de ravager de vos glaives la terre polovtsienne et vous êtes mis en quête de gloire.Mais sans honneur vous avez vaincu car sans honneur vous avez répandu le sang infidèle ;
- 113. vos coeurs vaillants sont forgés d’acier franc et trempés d’audace.
- 114. Qu’avez-vous donc imposé aux fils d’argent de ma tête chenue?
- 115. Je ne vois déjà plus le pouvoir de mon frère Iaroslav, fort, riche, aux nombreux guerriers, avec ses boïars de Tchernigov, ses voievodes, ses Tatrans, ses Chelbirs, ses Toptchaks, ses Rievougs, ses Olbirs. Car ceux-là, sans boucliers, avec leurs coutelas dans leurs bottes, vainquent les armées d’un cri, faisant sonner la gloire de leurs ancêtres.
- 116. Mais vous avez dit: nous montrerons nous-mêmes notre vaillance nous nous emparerons de la gloire future, nous partagerons nous-mêmes la gloire passée!
- 117. Est-ce une merveille, frères, pour un vieillard de rajeunir?
- 118. Lorsqu’un faucon a mué, il pourchasse les oiseaux haut dans le ciel et n’expose pas sa couvée.
- 119. Mais pour mon malheur, les princes ne m’aident pas:
- 120. c’est bien mal que les temps ont changé.
- 121. Voici qu’à Rimov on gémit sous les sabres polovtsiens et Volodimir – sous les blessures.
- 122. Malheur et tristesse au fils de Gleb!
- 123. Grand prince Vsevolod! ne devrais-tu pas par la pensée voler de tes terres éloignées pour veiller sur le trône de ton père?
- 124. Car, toi, tu peux faire rejaillir la Volga de tes avirons et épuiser le Don de tes heaumes.
- 125. Si tu étais là, nous aurions une captive pour un sol et un esclave pour moins encore.
- 126. Car tu peux lancer sur la terre comme de vivants traits enflammés les vaillants fils de Gleb.
- 127. Toi bouillant Riourik, et toi, David, ne sont-ce pas vos guerriers qui ont nagé dans le sang sous leurs heaumes dorés?
- 128. N’est-ce pas votre vaillante droujina qui mugit comme des buffles blessés par des sabres trempés sur une plaine inconnue?
- 129. Mettez, Seigneurs, le pied à l’étrier doré pour le dommage de ce temps, pour la terre russe, pour les blessures d’Igor, le bouillant fils de Sviatoslav!
- 130. Iaroslav Osmomysl de Galitch, tu sièges haut sur ton trône forgé dans l’or, tu as soutenu les monts ougriens de tes troupes de fer, ayant barré la route au roi, ayant verrouillé les portes du Danube, lançant de lourdes pierres à travers les nuages, rendant la justice jusqu’au Danube.
- 131. Tes orages se répandent pas les terres, tu ouvres les portes de Kiev, à travers les pays tu tires du trône d’or de ton père sur les Sultans.
- 132. Tire, Seigneur, sur Kontchak, l’esclave infidèle, pour la terre russe, pour les blessures d’Igor, le bouillant fils de Sviatoslav!
- 133. Et toi, bouillant Roman, et toi, Mstislav, une pensée intrépide porte votre esprit vers l’action.
- 134. A l’action tu voles haut dans ton ardeur, comme un faucon planant dans les vents pour fondre impétueusement sur un oiseau.
- 135. Car vous avez des hommes de fer sous les casques latins ; la terre en tremble et bien des peuples ; Huns, Lituaniens, Iatviags, Dieremiela, et Polovtsy ont jeté leurs lances et courbé leurs têtes sous ces glaives bien trempés.
- 136. Mais déjà, prince Igor, la lumière du soleil s’est éteinte et ce n’est pas un bon signe si l’arbre s’est dépouillé de son feuillage:
- 137. le long de la Ros et de la Soula on s’est partagé les bourgades et la vaillante troupe d’Igor ne ressuscitera pas.
- 138. Le Don t’appelle, prince, il convie les princes à la victoire,
- 139. les fils d’Oleg, princes intrépides, se sont pressés au combat ;
- 140. Ingvar et Vsevolod, et vous trois, fils de Mstislav, faucons à six pennes, belle nichée!
- 141. Ce n’est pas au sort victorieux que vous avez conquis vos possessions. Où sont donc vos casques d’or et vos lances polonaises et vos boucliers?
- 142. Barrez les portes de la steppe de vos flèches acérées, pour la terre russe, pour les blessures d’Igor, du bouillant fils de Sviatoslav!
- 143. La Soula ne roule déjà plus ses flots d’argent pour la ville de Pereiaslavl et la Dvina coule fangeuse pour les redoutables habitants de Polotsk, sous les cris des infidèles.
- 144. Seul Iziaslav, fils de Vasilko, a fait sonner ses glaives acérés sur les heaumes lituaniens, il a détruit la gloire de son aïeul Vseslav et lui-même sous les boucliers rouges, sur l’herbe sanglante est tombé frappé par les glaives lituaniens, dans le sang, avec son favori
- 145. et celui-ci a dit:
- 146. L’oiseau a couvert ta droujina de ses ailes, prince, et les fauves ont léché son sang…
- 147. N’étaient là ni ton frère Briatchislav, ni l’autre, Vsevolod ; seul, de ton corps vaillant tu as exhalé ton âme de perle, à travers le collier d’or.
- 148. Les voix ont baissé, la joie s’est tue, les trompes de Gorodno sonnent!
- 149. Fils de Iaroslav, et vous tous, descendants de Vseslav, abaissez vos étendards et remettez au fourreau vos épées ébréchées,
- 150. car vous avez rejeté la gloire de vos ancêtres,
- 151. car, par vos discordes, vous avez commencé d’attirer les infidèles sur la terre russe, sur lesbiens de Vseslav ;
- 152. c’est par vos discordes que la violence s’est levée de la terre polovtsienne!
- 153. Au septième millénaire de Troïan, Vseslav a jeté le sort pour la vierge qu’il aimait.
- 154. Par la ruse il s’appuya sur les chevaux et bondit vers la ville de Kiev et de sa hampe toucha le trône d’or kiévien.
- 155. Il en bondit comme une bête fauve, à minuit, de Bielgorod, enveloppé de brume bleue.
- 156. Le matin, il abattit ses haches, ouvrit les portes de Novgorod, fit voler en éclat la gloire de Iaroslav ;
- 157. loup, il bondit de Doudoutki jusqu’à la Niemiga. Sur la Niemiga on élève des gerbes de têtes, on bat la moisson avec des fléaux d’acier trempé, on étend la vie sur l’aire et on fait sortir l’âme du corps.
- 158. Les rives sanglantes de la Niemiga furent ensemencées de malheurs, ensemencées avec les ossements des fils de la Russie.
- 159. Le prince Vseslav jugeait les hommes ; prince, il gouvernait les villes, loup, il rôdait la nuit. De Kiev, il atteignait Tmoutarakan avant le chant du coq, loup, il coupait la route au grand Khors.
- 160. On sonnait pour lui les mâtines tôt à Polotsk, au clocher de Sainte-Sophie, et lui entendait ce tintement à Kiev.
- 161. Bien qu’il eût une âme de devin dans un corps vaillant, il connut souvent le malheur.
- 162. Le sage devin Boïan avait autrefois prononcé pour lui cette strophe:
- 163. “Ni le rusé ni l’habile, ni l’oiseau sagace ne peuvent se soustraire à l’arrêt divin».
- 164. Oh, le temps de gémir est venu pour la terre russe qui s’est rappelé les temps jadis et ses premiers princes.
- 165. Vladimir l’Ancien, lui, on n’aurait pu le river aux collines de Kiev,
- 166. car voici que maintenant se sont dressés les étendards de Riourik et les autres, ceux de David, mais c’est différemment que flottent leurs flammes.
- 167. Les lances chantent.
- 168. Sur le Danube la voix de Iaroslavna s’élève ; dès l’aube elle lance son appel tel un coucou, doucement:
- 169. je volerai, dit-elle, comme un coucou, le long du Don,
- 170. je tremperai ma manche de castor dans la rivière Kaïaly,
- 171. j’essuyerai les plaies sanglantes du prince sur son corps puissant.
- 172. Dès l’aube pleure Iaroslavna dans Poutivl sur le rempart, disant:
- 173. “ vent, vent sauvage, pourquoi. Seigneur, souffles-tu contre nous?
- 174. Pourquoi portes-tu les flèches des Huns sur ton aile légère contre les guerriers de mon aimé?
- 175. Ne te suffit-il pas de souffler là-haut sous les nuées, berçant les vaisseaux sur la mer bleue?
- 176. Pourquoi Seigneur, as-tu dispersé ma joie de par l’herbe de la steppe?»
- 177. Dès l’aube pleure Iaroslavna sur le rempart de Poutivl, disant:
- 178. “ Dniepr, fils de Slavouta, tu as percé les monts rocheux à travers la terre polovtsienne,
- 179. tu as bercé sur tes flots les nefs de Sviatoslav jusqu’à la horde de Kobiak.
- 180. Berce, Seigneur mon bien aimé, jusqu’à moi, que je ne doive pas à l’aube lui envoyer mes larmes vers la mer».
- 181. Dès l’aube pleure Iaroslavna dans Poutivl sur le rempart, disant:
- 182. “Clair, trois fois clair Soleil! pour tous tu es chaud et beau ;
- 183. pourquoi. Seigneur, as-tu dardé ton rayon ardent sur les guerriers de mon aimé? Pourquoi, dans la plaine aride, as-tu racorni leurs arcs de sécheresse, empli leurs carquois de détresse?»
- 184. La mer déferle à minuit ; les trombes avancent en nuées ; Dieu montre sa route à Igor, de la terre polovtsienne vers la terre russe, vers le trône d’or de son père.
- 185. Les lueurs du couchant se sont éteintes ; Igor sommeille, Igor veille, Igor en pensée mesure les plaines, depuis le Grand Don jusqu’au Petit Donets.
- 186. Ovlour a sifflé un cheval au-delà de la rivière à la minuit, il engage Igor à se resaisir – qu’il ne reste pas; il a appelé,
- 187. la terre a résonné, l’herbe a brui, les tentes polovtsiennes se sont agitées ;
- 188. et Igor le prince sauta, hermine parmi les roseaux, canard blanc plogeant dans l’eau,
- 189. il s’est jeté sur le rapide coursier et,loup gris, en a sauté à terre.
- 190. Il s’est élancé vers le coude du Donets et s’est envolé sous les nuées tel un faucon, abattant oies et cygnes pour s’en repaître au matin, le jour, le soir.
- 191. Tandis que volat Igor le faucon, courait Ovlour le loup, secourant de sa robe la rosée fraîche, car ils ont fourbu leurs coursiers rapides.
- 192. Et le Donets dit:
- 193. “ Prince Igor, grand sont por toi la gloire, pour Kontchak le depit et pour la terre russe – la joie!
- 194. Igor dit:
- 195. “ Donets, grande est ta gloire à toi qui as bercé le prince sur tes flots, qui lui as étendu ton herbe verdoyante sur tes berges argentées, qui l’as vêtu de brumes tièdes sous l’ombre d’un arbre vert.
- 196. Tu l’as fait veiller par le canard sur l’eau, par les mouettes au fil du courant, par les sarcelles au souffle des vents».
- 197. La rivière Stougna, elle, ne fut pas ainsi, dit-il ; avec son courant perfide, ayant englouti ruisseaux et torrents étrangers, élargie à son embouchure, elle s’est refermée sur le jeune prince Rostislav.
- 198. A la rive sombre du Dniepr pleure la mère de Rostislav le jeune prince.
- 199. Les fleurs se sont flétries de pitié, l’arbre s’est incliné avec douleur vers la terre.
- 200. Ce ne sont pas les pies qui se sont mises à jacasser: sur les traces d’Igor marchent Gzak et Kontchak.
- 201. Alors les corbeaux cessèrent de croasser, les choucas se turent;les pies ne jacassaient plus,
- 202. seuls les serpents rampaient; les piverts de leurs coups de bec indiquent le chemin vers la rivière, et les rossignols de leurs chants joyeux annoncent l’aurore.
- 203. Gzak dit à Kontchak:
- 204. “Si le Faucon vole vers son nid, nous transperceront le fauconneau de nos fleches d’or”.
- 205. Kontchak dit à Gzak:
- 206. “Si le faucon vole vers son nid, nous enchaînerons le fauconneau à une belle vierge».
- 207. Et Gzak dit à Kontchak:
- 208. “Si nous l’enchaînons à une belle vierge, nous n’aurons ni le fauconneau ni la belle, et les oiseaux se mettront à fondre sur nous dans la plaine polovtsienne».
- 209. Boian et Khodyma, chantres de Sviatoslav des temps anciens de Iaroslav, favoris du prince Oleg, l’ont dit:
- 210. “Il est douloureux, tête d’être sans épaules, il est pénible, corps, d’être sans tête, et ce l’est pour la terre russe sans Igor».
- 211. Le soleil brille au ciel, le prince Igor est en terre russe,
- 212. les vierges chantent sur le Danube, leurs voix se propagent à travers la mer jusqu’à Kiev.
- 213. Igor va par l’entrée de Boritchev vers la sainte Vierge Pyrogochtcha.
- 214. Les pays sont dans la joie, les villes en liesse.
- 215. Les vieux princes ayant été chantés, que les jeunes le soient maintenant!
- 216. Vladimir Igorevitch!
- 217. Vivent les princes et la droujina, combattant pour les chrétiens contre les hordes infidèles,
- 218. gloire aux princes et à la droujina! Amen.
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Орехов Б. В. Параллельный корпус переводов «Слова о полку Игореве»: итоги и перспективы // Национальный корпус русского языка: 2006—2008. Новые результаты и перспективы. — СПб.: Нестор-История, 2009. — С. 462—473.